Je regarde l'horloge, affalé sur ma chaise. Je décompte les secondes, j'essaie d'écouter l'aiguille avancer mais cette fichue prof de français ne cesse de nous bassiner avec ses histoires de Socrate. Je m'en fiche de Socrate, j'ai la dalle et c'est pas lui qui risque de me payer un sandwich. Il reste dix secondes. Soudain, j'entends une voix dire mon nom. Je sursaute presque et fait face à l'autre dinde qui me sermonne en me disant que si son cours ne m'intéresse pas je ferais mieux de sortir directement. Au même moment, la sonnerie retentit.  « Vous avez raison, je vais faire ça, » je réponds avec un sourire aux lèvres. Elle soupire et je quitte ma chaise, attrapant mon sac de cours au vol. N'ayant pas envie de rester ici plus longtemps, je sors du bâtiment et me dirige vers le starbuck. Il ne me faut que dix minutes avant d'arriver devant les portes du café. Une fois à l'intérieur, je me dirige vers une table vide puis pose mon sac à coté de moi. Il n'y a presque personne, je suppose que j'ai été plus rapide que tout le monde. Mon ventre se met à hurler, ce qui fait rire la jeune serveuse qui vient de s'avancer pour prendre ma commande. Je lui demande un café accompagné d'un bagel et elle s'éloigne ensuite. En attendant qu'elle revienne, je me mets à tapoter sur la table. J'entends la porte d'entrée s'ouvrir et lève machinalement les yeux vers celle-ci. Je sens alors mon estomac se retourner. West est là, à quelques mètres de moi. Afin de me faire le plus discret possible, je me laisse glisser sur mon siège et prie pour ne pas me faire voir. Cela fait déjà plusieurs jours et qui et moi nous évitons - ou plutôt que je l'évite - et je ne me sens pas encore prêt à lui faire face. Ma tentative d'esquive se fait immédiatement griller par la serveuse, revenue avec ma commande. Elle va finir par me prendre pour un dingue. Je me redresse et la remercie avant de poser à nouveau mon regard sur le brunet. Il va me voir, c'est obligé. Et puis merde Noam, porte te boules, assume tes actes. Je me concentre sur mon bagel et mords dedans à pleine bouchée. Je deviens peut-être parano, mais j'ai l'impression de sentir son regard peser sur moi.  

J'essaie de ne pas penser au fait qu'il se trouve à seulement quelques mètres de moi. Quand je le vois, je me sens bizarre, mal-à-l'aise, si je n'oses plus lui faire face c'est tout simplement parce que je ne sais pas quoi lui dire. Et aussi parce que des images de la nuit dernière envahissent mon esprit à chaque fois que je croise ses yeux émeraudes. Alors qu'enfin j'arrive à me concentrer sur mon bagel plutôt que sur la présence de West, ce dernier prend place devant moi. J'ai l'impression que mon coeur vient de se désintégrer dans ma poitrine. Il me parle, rapidement, je sens de la colère dans sa voix. D'un coté, je le comprends, j'ai pas agi de la façon la plus intelligente qui soit, mais de l'autre ça m'embête vraiment. Je tiens à lui, même si ma façon de lui montrer n'est pas très démonstrative.  « Je t'en prie, » j'a à peine le temps de répondre qu'il me vole mon café et ne perd pas une seconde pour s'en prendre à moi. J'ai même pas le temps de réagir pour ma boisson, il me prend à court. J'hésite un instant, je sais pas quoi dire. Je finis par pousser un soupir. « Justement, elle se pose des questions après avoir rencontré le tienne. » Je réponds du tac au tac, mon regard cette fois planté dans le sien. Je me penche légèrement sur la table afin de récupérer mon gobelet qu'il tient toujours dans sa main et effleure au passage sa main involontairement. Directement, une décharge électrique me vrille le cerveau et je me redresse sur mon siège une fois mon café en ma possession. « Et si tu veux quelque chose, achète-le plutôt que de me voler mon argent durement gagné. » Il est froid avec moi ? Très bien, j'entre dans son jeu. Sans le quitter des yeux, je porte mon gobelet jusqu'à mes lèvres et bois une gorgée avant de le reposer sur la table.

Son regard emprisonne le mien, il m'empêche de détourner les yeux. Je le fixe, hypnotisé, envoûté. Il me rend dingue, dans tous les sens du terme. Je me sens soudainement en position de faiblesse, j'ai l'impression de n'être plus que sa marionnette qu'il peut contrôler à sa guise. Je n'aime pas ça d'ailleurs, ça fou un bordel monstre dans ma tête. Mes doigts tapotent nerveusement le couvercle du gobelet et je continue de soutenir son regard, cherchant une faille. Sa question me prend au dépourvu, c'est lui qui a réussi à m'avoir. Je tente de répondre mais j'ai l'impression que chaque mot se coince dans ma gorge. Quel con ce West, je le hais à tel point que j'ai envie de me lever et de lui en foutre une. Le plaquer au mur, mon visage à à peine quelques centimètres du sien. Bordel mais à quoi je pense ? « Du genre, est-ce que tu m'as drogué ? Ca m'étonnerait que je finisse de plein gré dans un lit avec toi. » Et pourtant. Je regarde la commissure de ses lèvres, je m'y attarde un instant et là, je sens mon poul s'emballer lorsque son pied rencontre le mien sous la table. Je retiens ma respiration, j'essaie de rester impassible. Sa jambe effleure la mienne et je ne la bouge pas, je suis comme paralysé. À nouveau, mon regard croise le sien. Il joue avec moi, il cherche à me provoquer et il y arrive extrêmement bien. Il lit en moi, me déstabilise. Sans m'en rendre compte, je me mordille la lèvre inférieure. Je m'adosse sur la banquette sur laquelle je suis assis et croise les bras contre mon torse avant de ramener ma jambe vers moi, rompant ainsi tout contact physique avec lui. « Qu'est-ce qui te fait croire ça ? » je lui demande le plus sérieusement du monde. Je ne comprends pas, je ne vois pas quel plaisir il peut tirer à jouer ainsi avec moi. Il est le chat, je suis la souris. Il me tient entre ses pattes et moi je reste planté là, sans défense, avec une furieuse envie de reprendre le dessus. Bien décidé à lui montrer de quoi je suis capable, je me redresse, m'appuie contre la table et me penche vers lui. « C'est surtout toi qui en brûle de désir, avoue-le. » À mon tour de jouer la carte de la provocation.